Dernière lettre à sa femme Pauline
Patrice Lumumba
(8 janvier 1961, soit 9 jours avant son assassinat (A. Kashamura 1966 : 173-175)
(8 janvier 1961, soit 9 jours avant son assassinat (A. Kashamura 1966 : 173-175)
« Ma chère compagne Pauline,
Je t’écris ces mots sans savoir s’ils te parviendront et si je serai encore en vie lorsque tu les liras.
Durant toute ma lutte pour l’indépendance de notre pays, nous n’avons jamais douté un instant du triomphe final de la cause sacrée à laquelle, mes compagnons et moi, avons consacré notre vie. Mais ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans compromis, à une indépendance sans restriction, le colonialisme belge et ses alliés, qui ont trouvé un appui direct ou indirect, déclaré ou non déclaré, auprès de certains hauts fonctionnaires des Nations Unies - cet organisme dans lequel nous avions placé toute notre confiance, lorsque nous avions fait appel à son assistance ne l’ont jamais voulu.
Ceux-ci ont corrompu certains de nos compatriotes, ils en ont acheté d’autres. Ils ont contribué à déformer la vérité et à saper notre indépendance. Que puis-je dire d’autre ? Que je sois mort ou vivant, libre ou prisonnier par ordre des colonialistes, ce n’est pas ma personne qui compte, mais le Congo et notre peuple, dont ils ont transformé l’indépendance en triste farce. Ma foi restera inébranlable.
Je sais et sens dans le fond de mon être que tôt ou tard mon peuple se débarrassera de tous ces ennemis intérieurs et extérieurs, qu’il se lèvera comme un seul homme pour dire « non » au colonialisme dégradant et humiliant et pour instaurer sa dignité sous un soleil éclatant.
Nous ne sommes pas seuls. L’Afrique, l’Asie et les peuples libres se trouveront toujours aux cotés des millions de Congolais qui ne cesseront pas la lutte tant que les colonialistes et leurs mercenaires se trouveront dans notre pays.
A mes fils que j’ai quittés que peut-être pour ne plus jamais les revoir, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau et qu’il attend d’eux, et de tous les Congolais, la réalisation de la tâche sacrée de reconstruire notre indépendance et notre souveraineté parce que sans dignité, il n’y a pas de liberté ; sans justice il n’ y a pas de dignité et sans indépendance il n’ y a pas d’hommes libres.
La brutalité, les sévices, les tortures ne m’ont jamais amené à implorer la grâce, parce que je préfère mourir la tête haute, avec la foi indestructible et la confiance profonde dans la destinée de notre pays plutôt que de vivre dans la soumission en ayant renié les principes qui me sont sacrés.
L’histoire prononcera un jour son jugement, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, à Paris, à Washington ou aux Nations-Unies ; ce sera celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera, au Nord et au Sud du Sahara, une histoire de gloire et (de) dignité.
Ne me pleure pas, ma compagne. Je sais que mon pays qui souffre tant saura défendre son indépendance et sa liberté.
Vive le Congo !
Vive l’Afrique !
Vive le Congo !
Vive l’Afrique !
Patrice Lumumba. Prison de Thysville, le 8 janvier 1961. »
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