Conférence Internationale Panafricaine - Patrice Lumumba (Accra, 11 décembre 1958 (JV Lierde 1963 : 9-12)
Conférence Internationale Panafricaine
Patrice Lumumba
(Accra, 11 décembre 1958 (JV Lierde 1963 : 9-12)
« Nous remercions les organisateurs de la conférence du Rassemblement des Peuples africains de l’aimable invitation qu’ils ont bien voulu adresser à notre mouvement. Nous tenons à rendre hommage à son Excellence le Premier Ministre N’Krumah et au peuple ghanéen, pour l’accueil fraternel qu’ils nous ont réservé.
Nous remercions également les représentants des peuples indépendants ici présents, pour la défense qu’ils n’ont cessé de prendre en faveur du Congo dans les assises internationales.
Qu’ils trouvent ici, au nom de tous nos compatriotes, l’expression de notre sincère gratitude.
Jusqu’à la fin de l’année dernière, il n’existait aucun conseil délibératif au Congo. Tous les organes du Pays étaient-et sont encore- consultatifs.
Depuis le mois de janvier de cette année, une modification fut apportée dans la structure politique du pays, notamment par la création des communes dans certaines villes du Congo.
Une législation similaire a été votée et sera mise en application dans les circonscriptions rurales dans le courant de l’année prochaine.
Mais les nouveaux décrets sur l’organisation des villes et des circonscriptions ne consacrent pas encore une autonomie complète à ces institutions.
Dans les conseils des villes, comme dans les autres organes consultatifs du pays, il a été institué un système de représentation paritaire entre la minorité européenne et la majorité africaine. Ce qui, inutile de le souligner, est antidémocratique.
Se rendant compte de l’évolution acquise par les populations et des revendications maintes fois formulées par les administrés, la Belgique a envoyé dernièrement une commission chargée de s’informer, sur place, des aspirations du peuple.
Nous croyons, pour notre part, qu’à cette occasion, le pays s’est prononcé en faveur de l’auto-détermination.
Le gouvernement belge a promis de se prononcer solennellement à ce sujet, le mois prochain.
Notre programme d’action :
Le « Mouvement National Congolais » que nous représentons à cette grande conférence, est un mouvement politique constitué à la date du 5 octobre 1958.
Cette date marque, pour le peuple congolais, une étape décisive dans la voie de son émancipation. C’est vous dire avec quelle sympathie la naissance de notre mouvement a été accueillie par la population.
Notre mouvement a pour but fondamental la libération du peuple congolais du régime colonialiste et son accession à l’indépendance.
Nous fondons notre action sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme – droits garantis à tous les citoyens de l’humanité par la Charte des Nations Unies – et estimons que le Congo, en tant que société humaine, a le droit d’accéder au rang des peuples libres.
Nous désirons voir établir dans notre grand pays un État démocratique moderne, assurant la liberté, la justice, la paix sociale, la tolérance, le bien-être et l’égalité des citoyens, sans discrimination aucune.
Dans une motion que nous avons adressée récemment au ministre du Congo, à Bruxelles, nous avons clairement stipulé - et beaucoup d’autres de nos compatriotes l’ont également fait -, que le Congo ne pouvait plus être considéré comme une colonie, ni d’exploitation ni de peuplement, et que son accession à l’indépendance était la condition sine qua non de la paix.
Dans notre action pour la conquête de l’indépendance du Congo, nous n’avons cessé de proclamer que nous n’étions contre personne, mais uniquement contre la domination, les injustices et les abus, et que nous voulions tout simplement nous libérer des entraves du colonialisme avec toutes ses conséquences.
Ces injustices et l’idiot complexe de supériorité qu’affichent des colonialistes, sont, comme cela ressort clairement des rapports troublants des autres délégués, à la base du drame de l’Occident en Afrique.
En plus de cette lutte pour la libération nationale dans le calme et la dignité, notre mouvement s’oppose avec toutes ses forces à la balkanisation du territoire national sous quelque prétexte que ce soit.
De toutes les interventions qui ont précédé la nôtre, il s’est dégagé une chose pour le moins curieuse et à laquelle n’a échappé aucun peuple colonisé : c’est la patience et cette bonté de cœur proverbiales dont les Africains ont fait preuve depuis des millénaires et ce en dépit des vexations, des exactions, des discriminations, des ségrégations et des tortures de tous genres.
Le souffle libérateur qui traverse actuellement toute l’Afrique ne laisse pas le peuple congolais indifférent. La conscience politique qui, jusqu’à ces derniers moments, était latente, se manifeste, s’extériorise et s’affirmera davantage dans les mois à venir. Nous sommes ainsi assurés de l’appui des masses et de la réussite dans les efforts que nous entreprenons.
Cette conférence historique, qui nous met en contact avec les hommes politiques qualifiés de tous les pays africains et du monde entier, nous révèle une chose : malgré les frontières qui nous séparent, malgré nos différences ethniques, nous avons la même conscience, la même âme qui baigne jour et nuit dans l’angoisse, les mêmes soucis de faire du continent africain un continent libre, heureux, dégagé de l’inquiétude, de la peur et de toute domination colonialiste.
Nous sommes particulièrement heureux de constater que cette conférence s’est fixé comme objectif : la lutte contre tous les facteurs internes et externes qui constituent un obstacle à l’émancipation de nos pays respectifs et à l’unification de l’Afrique.
Parmi ces facteurs, on trouve notamment, le colonialisme, l’impérialisme, le tribalisme et le séparatisme religieux qui, tous, constituent une entrave sérieuse à l’éclosion d’une société africaine harmonieuse et fraternelle.
C’est pourquoi nous crions vivement avec tous les délégués : À bas le colonialisme et l’impérialisme.
À bas le racisme et le tribalisme.
Et vive la nation congolaise, vive l’Afrique indépendante. »
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