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Crise socio-politique dans les régions anglophones du Cameroun, voici pourquoi un mauvais diagnostic risque de conduire à un mauvais traitement et plus de problèmes

Crise socio-politique dans les régions anglophones du Cameroun, voici pourquoi un mauvais diagnostic risque de conduire à un mauvais traitement et plus de problèmes


Tous les protagonistes de la crise socio-politique qui frappe les deux régions anglophones du Cameroun se sont enfin accordés pour reconnaitre que la solution passe par le dialogue. Qu’attendent-ils donc pour l’engager et arrêter l’effusion de sang ? 

Dialogue, c’est le mot qui est dans toutes les bouches en ce moment. Mais, quand et où se tiendra t-il ? Qui y prendra part et qui le présidera ? Sur quoi portera t-il ?  Tous les sujets y seront-ils abordés ou, y en a-t-il qui sont tabous ? Quel sera l’impact de ce dialogue sur la résolution du conflit ? Autant de questions parmi bien d’autres qui alimentent les discussions des Camerounais s’agissant de la crise qui frappe les deux régions anglophones du pays. Mais, toutes restent sans réponses. En attendant donc, faisons un bref rappel des faits.

Tout commence à Bamenda le 11 octobre 2016 par une manifestation des avocats originaires des deux régions anglophones.  Ils exprimaient leur désapprobation du « manque d’une version anglaise des textes indispensables à l’exercice de leur profession ». En outre, ils réclamaient : « l’affectation dans les régions anglophones des magistrats maîtrisant l’anglais ; la création au sein de la Cour Suprême d’une section chargée des recours contre les décisions rédigées en anglais ; la création d’un département Common Law à l’Enam. »

Les enseignants descendent à leur tour dans la rue le 21 novembre. Ils manifestent contre « l’affectation d’enseignants francophones dans les écoles anglophones. » Cela est jugé « scandaleux » par Tassang Wilfred, secrétaire général du syndicat CATTU, qui pense que le gouvernement le fait par « tribalisme et népotisme. »

Le Consortium de la société civile des régions anglophones fait sa première sortie le 09 janvier 2017. L’opération ville morte qu’il lance a pour but de « faire pression sur le gouvernement, afin qu’il apporte des réponses aux revendications des avocats et enseignants. » 

La suite, nous la connaissons. Meetings du parti au pouvoir, arrêtés ministériels et manœuvres dissuasives ont précédé les réponses aux revendications. La crise a fini par s’enliser. Elle est devenue sanglante, fait les grands titres de journaux et attise l’appétit des prédateurs qui, disent certains, « sont à la manœuvre en vue d’une déstabilisation programmée du pays. »

Malaise

Cette crise, selon certains acteurs de la scène politique nationale, s’est envenimée à cause de « l’inertie du gouvernement qui ne s’est pas empressé d’apporter des réponses appropriées aux revendications corporatistes des avocats et enseignants. » 

Si ces propos sont une pique adressée aux autorités qui, selon les tenants de cette thèse, « ont pris le pays en otage », la perception s’avère légère. Elle tend à réduire la crise des régions du Sud-ouest et Nord-ouest du pays aux seules revendications des avocats et des enseignants ; ce qui est évidemment faux. 

La réalité est que, dans leur immense majorité, les Camerounais des deux régions anglophones du pays se disent « marginalisés. » Les raisons de ce sentiment, ils vous les donnent à souhait sur les plateaux de radio et télévision ; preuve que les revendications de ces deux corps de métier ne sont qu’un arbre qui cache la forêt de « frustrations. »

Mais pour avoir une bonne appréciation du problème, fondons notre analyse sur des valeurs et comparons l’évolution des sociétés anglophones du Cameroun à celle des peuples qui ont connu le même système d’administration colonial ; le Nigéria ou le Ghana par exemple.  Que constatons-nous ? Ils sont en nette régression sur plusieurs plans, après presque le même nombre d’années d’indépendance. 

Rien qu’à l’examen de cette réalité donc, l’on ne saurait nier l’existence d’un malaise. Certains observateurs estiment même qu’il est plus profond que le fait qu’un « Anglophone n’ait jamais été président du Cameroun, après cinquante neuf années d’indépendance. » Car, s’interrogent-ils : « Qu’aurait fait un président anglophone sans véritable pouvoir ? » Peut-être cela aurait-il adouci les esprits mais, pas grand-chose, face à l’oppressant système néo-colonial français qui a été imposé aux deux Etats du pays, après les indépendances et le retrait de la Grande Bretagne.

Alors, oui : il y a problème. Mais, faudrait-il le réduire à un problème anglophone, c’est-à-dire de langue ?

Manipulation

Plusieurs faits attestent bien que la crise qui oppose les deux régions anglophones du pays à l’Etat du Cameroun ne saurait se réduire à un problème de langue. C’est pour cela qu’il faut déplorer les manœuvres de récupération politico-militaires qui l’entourent en ce moment.

Le premier fait, c’est que tous les ressortissants des deux régions anglophones ne sont d’accord ni sur l’existence du problème, ni sur sa nature. Notamment dans l’élite anglophone, deux camps s’affrontent. 

Tous ceux qui ont participé à la gestion des affaires depuis les indépendances disent haut et fort, à tort ou à raison, qu’il « n’y a pas de problème anglophone au Cameroun. » 

Leurs opposants trouvent que c’est faux. Ils estiment par contre que leurs « peuples sont marginalisés » du fait d’être anglophones et c’est cela, la source de tous leurs problèmes. 

Faudrait-il voir en cette guerre de tranchées une bataille de pouvoir où d’un côté, les tenants veulent le conserver en continuant à le partager avec leurs homologues francophones et de l’autre côté, les aspirants veulent l’arracher par une sécession ? Si tel est le cas, c’est le peuple qui, une fois encore et comme toujours, est entrain d’en payer les frais.

Le deuxième fait, c’est que les leaders du mouvement dit anglophone ne sont d’accord ni sur la représentativité des uns et des autres, ni sur la forme de l’Etat qu’ils revendiquent. Pendant que certains prônent la sécession, d’autres réclament le fédéralisme. Et même au sein des fédéralistes, les violons ne sont pas accordés. Certains sont pour un fédéralisme à deux Etats, alors que d’autres veulent un fédéralisme à dix Etats.

Sur ces désaccords, certaines langues insinuent une « manipulation du pouvoir. » Peut-être existe t-elle. Mais, deux faits viennent fragiliser cette thèse.

D’abord, il y a la crainte d’une nouvelle marginalisation. Certains ressortissants du Sud-ouest redoutent d’être une nouvelle fois « marginalisés dans le nouvel Etat d’Ambazonie par leurs compagnons du Nord-ouest. » Par conséquent, ils préfèrent un fédéralisme à dix Etats ; ce que ne veulent pas entendre les tenants d’un fédéralisme à deux Etats qui sont majoritairement du Nord-ouest. 

Alors, si la langue était la seule cause de marginalisation, pourquoi ces persistants désaccords entre les élites d’une part ? Et d’autre part, pourquoi devrait-elle être redoutée par les uns, dans l’Etat ou la fédération d’Ambazonie où toutes les populations seront anglophones ? 

Ensuite s’invite au débat, la question culturelle. Sur ce point, il est édifiant de comprendre que le colon a intentionnellement déstructuré l’organisation de nos sociétés ancestrales pour nous manipuler plus aisément, nous dresser plus facilement les uns contre les autres et continuer à nous piller ? 

Ainsi, la tribu, le découpage administratif, la religion, la frontière, sont autant d’éléments dont l’on peut se servir pour créer et entretenir des conflits. Là, on oppose chrétiens ou bouddhistes aux musulmans. Là-bas, on insinue le secours aux frères de la même ethnie qui sont en péril pour déstabiliser un pays voisin ou toute une région entière. Ici, ce sont les anglophones qui sont opposés aux francophones.

Et pour étayer ce propos, peut-être faudrait-il poser les questions qui fâchent. En dehors de la langue anglaise, qu’est-ce que l’originaire de Tiko, Kumba ou Buea, a en commun avec celui de Bamenda ? Est-il encore besoin de rappeler que les originaires du Sud-ouest partagent les mêmes coutumes ancestrales avec leurs frères du littoral, pendant que ceux du Nord-ouest partagent les leurs avec leurs frères de l’Ouest ? 

Alors, si dans l’Etat du Cameroun actuel, la langue est source de marginalisation, qu’est-ce qui prouve que le choc culturel ne le sera pas dans l’Etat ambazonien de demain ?

Racines du mal

Le mouvement qui nait de cette crise aurait connu une plus large adhésion, si l’on ne l’avait pas confiné dans une question anglophone. Certes nos frères des régions anglophones ont des revendications spécifiques, comme chacune des régions du Cameroun peut en avoir mais, les racines du mal se trouvent dans un système global qui ne profite qu’à une poignée de personnes, toutes les régions du pays confondues. 
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C’est pourquoi les Anglophones qui profitent du système ne vous diront jamais qu’il y a un problème. Il en est de même pour tous les dignitaires des huit autres régions du pays qui vous diront eux aussi que, leurs peuples n’ont aucun problème. Or, quand l’on côtoie les populations on réalise que le malaise est généralisé et les causes en sont presque partout les mêmes : une poignée d’individus s’est accaparé toute la richesse du pays et le peuple croupit dans la misère.

Faudrait-il rappeler que cette terminologie d’exclusion – crise anglophone - qui est conçue à dessein arrange plutôt ces dignitaires ? La raison, la voici. Dans une logique du « pas d’intérêt, pas d’action », il faut plus qu’un devoir de solidarité nationale pour véritablement impliquer un francophone dans une crise qu’on dit purement anglophone. Et la dangerosité de la manœuvre réside dans le fait qu’elle disperse les énergies qui doivent plutôt se fédérer dans un mouvement global, parce que nous sommes tous victimes d’un même système. 

Conséquence de cette manœuvre de division qui peut déboucher sur une spirale d’indifférences des uns face aux revendications des autres, les Camerounais des régions en crise reprochent à leurs homologues francophones leur manque de solidarité. Ils déplorent le fait que ces derniers ne les aient pas soutenus au début du mouvement. Ils ont peut-être raison. Mais comment pouvait-il en être autrement dès lors que la crise est dite anglophone et les revendications ne sont que spécifiques aux deux régions anglophones du pays ?

Oui, il y a problème. Mais, il s’agit plus d’une crise de système que de « crise anglophone. » Les régressions des valeurs fondamentales, sources des problèmes que déplorent nos frères anglophones, sont dues à l’effet d’entrainement par le bas du système néo-colonial français. Il n’a laissé aucune autonomie à ses anciennes colonies. Pire, il a institué, avec la complicité d’une poignée d’élites corrompues, le pillage et le népotisme comme style de gouvernance. 

Et la paupérisation des populations de toutes les régions du pays est le fruit amer de cet impérialisme néo-colonial. Les différents régimes qui se sont succédés à la tête de l’Etat, n’ont fait qu’exécuter, parfois fusil à la tempe, les décisions de ceux qui les ont installés et maintenus au pouvoir. 

Vouloir donc confiner la crise socio-politique que vit le Cameroun dans un problème anglophone, serait poser un mauvais diagnostic. Et, s’il est établi qu’un mauvais diagnostic conduit inéluctablement à un mauvais traitement, les solutions qui seront proposées risquent de créer plus de problèmes qu’elles n’en résoudront. Déjà, l’on entend les autres régions du pays ruminer elles aussi leurs frustrations. Alors ravisons-nous. C’est plus d’une crise de système qu’il s’agit. Par conséquent, les solutions à y apporter doivent être structurelles et globales.

Mass Agugu Manjule
Artiste - Musicien
Auteur – Compositeur - Guitariste

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